La connerie du jour : « Moi je parle avec tout le monde »

(archive, publié sur l’ancien blog le 8 février 2013)

Ce texte fait suite à un premier article « sur la liberté d’expression ». Il vise à décortiquer une notion qu’il faudrait, selon moi, absolument abandonner dans le cadre de son militantisme. Cette notion, c’est la connerie du jour, c’est cette phrase qui souvent, lorsqu’on l’entend de la bouche d’un interlocuteur, nous donne envie de tout envoyer valser. Cette phrase si niaise, si caractéristique de dépolitisation, à l’image d’une société nombriliste et zappeuse de l’illusoire agora facebookienne, d’une société où les dominations et les courants politiques sont niés. Cette phrase qui est la petite sœur du « droite ou gauche, il y a de bonnes idées partout ». Cette phrase que te balance un camarade de 10 ans de luttes quand tu l’interpelles sur le fait qu’il relaie un texte de ReOpen911 ou du « Réseau voltaire » : « moi je parle avec tout le monde »

Il y a donc cette idée, que, après avoir été sommés de défendre la liberté d’expression « même de nos pires ennemis », il faudrait en plus, pour être un.e vrai.e démocrate, pour avoir une pensée libre et critique, discuter et s’ouvrir aux idées de tout le monde. Encore une fois pour combattre la fameuse « pensée unique ». Et cela, qu’il s’agisse de nos espaces, de nos organisations, de nos AG, de nos manifs.

Ainsi, il faudrait parler avec les fascistes et leurs amis conspirationnistes ;  ou encore les confusionnistes, qui sous divers prétexte relaient des auteurs, des textes, des sites d’extrême droite mais se considèrent toujours comme de sincères militants de gauche. Il y a l’idée que, « malgré nos divergences, il faut échanger, ils ne disent pas que des conneries » ou « mieux vaut débattre avec eux que les rejeter, au moins on peut s’attaquer à leurs idées et peut être les faire changer »

-On trouvera cette attitude chez les Indignés[i][ii], ou encore au sein de certains collectifs de gauche « alternative ». C’est typiquement l’attitude qu’adopte Etienne Chouard, enseignant qui s’est fait connaitre sur la toile par ses analyses en faisant campagne contre le TCE en 2005 au sein de la gauche antilibérale. Aujourd’hui, ce monsieur n’hésite pas à manger à tous les râteliers, pourvu qu’on l’invite (l’article de Conspis hors de nos vi[ll]es détaille bien le tout) : une association paravent des Identitaires, un forum alter-écolo, ATTAC-Besançon (mais qui a annulé via un communiqué étrange[iii]), Les Amis du Monde diplomatique, “Radio Courtoisie” (radio d’extrême droite), et l’intéressé précise sur son blog qu’il irait volontiers au MEDEF si on l’invitait. C’est également typiquement l’attitude qu’adopterons les défenseurs de Chouard ou encore les organisations de gauche l’invitant[iv]. Pourtant, Chouard est quelqu’un qui a désormais largement franchi la ligne rouge et s’affiche clairement comme sympathisant d’extrême droite : en niant l’antisémitisme d’une vidéo qui l’est pourtant on ne peut plus ouvertement[v], en présentant un eurodéputé nationaliste comme un « remarquable résistant à la tyrannie mondialiste »[vi], en déclarant « Je pense que Soral n’est ni fasciste, ni raciste. (Y a-t-il encore des fascistes en France aujourd’hui, d’ailleurs ?) Je le trouve même plutôt clairement antifasciste et antiraciste »[vii] . Par ce type de déclaration, il montre (1) qu’il ne comprend absolument pas ce qu’est le fascisme et ne peut donc pas prétendre le combattre (2) qu’il adhère parfaitement aux schémas de pensée de l’extrême droite, nationaliste et antisémite. C’est sûrement ce même souci d’ « ouverture démocratique » qui a poussé, par exemple, Philippe Marx et René Balme à diffuser sur leurs sites des textes d’extrême droite et de la mouvance conspirationnistes[viii]. Cette idée de “donner la parole à tout le monde” est aussi la ligne politique faussement naïve des sites webs tels le “Cercles des Volontaires” ou “Enquêtes et débats” qui derrière le côté “gentils citoyens” donnent la part belle à l’extrême droite.

Dieudonne parle a tout le monde

On ne discute pas avec le fascisme, on le combat.

Cette phrase, assez absolue de prime abord, n’est pas une simple formule et ne part pas de nulle part. Elle part de l’expérience de presque un siècle de lutte contre le fascisme. Parce que le fascisme, c’est un corpus d’idées mais surtout un mécanisme, un mouvement qui ne fait pas de cadeau et n’est pas particulièrement respectueux de règles. Il n’y a rien de bon à prendre chez les fascistes et rien à leur donner (si ce n’est des baffes). Historiquement, tous ceux qui ont cherché la discussion et la conciliation avec les fascistes ont soit fini fascistes soit été liquidés par leurs nouveaux compagnons de route. On ne débat pas avec l’extrême-droite pour des raisons politiques et pratiques.

Débattre avec eux risque de gommer les différences pourtant concrètes : Si Etienne Chouard enchaîne une conférence pour une association de gauche alternative puis une autre pour les Identitaires, cela sert le discours des Identitaires disant qu’ils ont finalement des bases communes avec le mouvement social. Ce qui est faux. Dans l’absolu, ce genre de conférence où les groupes d’extrême droite « débauchent » des penseurs (qui étaient) plus ou moins classés « à gauche » ou « étant reconnus et validés par la gauche » ne serre qu’a créer l’illusion que l’extrême droite a un projet progressiste/socialisant/écologiste. De même, quand un site comme « Le Grand Soir » diffuse des textes de Meyssan ou encore du « Parti Antisioniste »[ix] cela contribue à valider l’idée que « l’anti-impérialisme » et le prétendu « anti-sionisme » revendiqués par ces groupes et individus sont semblables et défendables au même titre que les autres mouvements parfois diffusés sur ce même site.

Le fascisme existe parce qu’il existe des rapports de classe, des contradictions au sein de la bourgeoisie qu’elle peut gérer via ce mouvement et cette culture violente qui s’appuie sur des réalités concrètes millénaires (racisme, patriarcat, obscurantisme), pour combattre (et détourner) les mouvements sociaux, notamment en moment de crise. La situation est exactement celle-là aujourd’hui.  En acceptant le « dialogue » avec les fascistes, ou avec ceux qui eux-mêmes font le choix de discuter avec eux (cas des conspirationnistes et confusionnistes « de gauche »), on efface cette confrontation politique. On efface ce rapport de classe au profit d’une vision complètement naïve de la « démocratie » où chaque courant, chaque individu chercherait à gentiment convaincre ses semblables par le biais de joutes oratoires « à la loyale », où les meilleurs arguments l’emporteraient et où les idées néfastes finiraient à la poubelle de par leur propre nature. En fait c’est valider une sorte de démocratie représentative et parlementaire où la simple  « saine confrontation des idées dans le cadre du débat » suffirait à faire l’action politique. Et pourtant les mouvements sociaux ne cessent de nous le rappeler : « c’est pas à l’Élysée, c’est pas à l’Assemblée, mais bien dans la rue qu’il faut lutter/qu’on va gagner ».

Parce que la réalité politique, c’est des possédants qui exploitent les autres, et des confrontations entre exploitants et exploités. Ce sont les capitalistes qui posent via l’État et d’autres outils privés (médiatiques, économiques, culturels) les conditions des « débats », souvent justement pour canaliser leurs adversaires. Et c’est une extrême droite à leur service pour casser le mouvement social en y semant la division et la confusion. Et eux s’en foutent de nos idées, nos envies, nos projets.

En assimilant et en reproduisant dans nos propres choix, dans nos propres espaces cette idée qu’un débat peut avoir lieu « d’égal à égal » avec des adversaires, ou même une simple discussion « constructive » dans une hypothétique agora sans que les dés ne soient pipés, avec l’idée que le type en face de nous a autant envie de nous ouvrir ses oreilles et sa tête que nous lui ouvrons les nôtres, on se goure complètement.

 Le type en face, il veut juste une tribune, une occasion d’améliorer son image et de toucher par son discours. Celles et ceux qui ne comprennent pas ça, même après maints exemples et arguments, qui s’entêtent à vouloir « échanger des idées parce que c’est ça la démocratie » adoptent finalement une posture dangereuse. Parce qu’il.elles persistent à nier chez leur adversaires les faits suivants : ils n’en ont rien à faire du débat, ils n’hésiteront pas à ne pas en respecter les règles (mentirons sur les sources, chiffres, faits, manipuleront les concepts et le sens des mots) et donc seront en position de force. Ils sont en quête de reconnaissance et de respectabilité et quoi de mieux que l’acceptation d’un parti/association étiqueté « de gauche » pour s’ouvrir des portes vers de nouveaux espaces ?

Discuter avec des adversaires (que ça soit des fachos, ou même dans d’autres cas, des ultra-libéraux convaincus, ou encore des soi-disant « ni droite ni gauche ») est non seulement une perte de temps mais peu avoir des effets pervers : Surtout si c’est dans votre espace (votre site web, votre mouvement, faire entrer des opposants dans une AG de votre lutte) ; c’est tout bénef pour eux et rien pour vous. C’est aussi simple que cela : ça consiste à leur servir la soupe. Ca ne peut que brouiller votre message, votre discours et crédibiliser le leur.

-« Mais on peut peut-être les convaincre, les changer ? ».  Si on croit sincèrement à notre discours, nos principes, pas besoin d’un « dialogue » pour les diffuser. Des gens de droite, d’extrême-droite ou sociaux-libéraux peuvent infléchir leurs positions et quitter ces courants de pensées pour se rapprocher de nous. Oui c’est possible, ça arrive plus souvent qu’on ne le pense et c’est heureux. Mais ça n’est pas en discutant « de groupe à groupe » ou « bloc contre bloc » que l’on provoque ce changement. Cela se joue au niveau des individus. On n’a jamais vu une association, un parti situé de l’autre côté de la barricade renoncer collectivement à leur idéologie pour rejoindre le mouvement social (ni même la gauche réformiste). Si d’anciens d’extrême droite comme Devedjian ou Madelin se sont un peu calmés (enfin bon, pour devenir ultra-libéraux, chouette !), ce n’est pas Occident ou Ordre Nouveau qui ont changé. Heureusement que l’extrême gauche des années 1970 n’a pas essayé de dialoguer avec ces mouvements là (quelle perte de temps !). Si l’on veut faire changer d’avis un fasciste, on lui tient un discours carré rejetant fondamentalement ses principes, on ne le ménage pas, on ne lui fait pas croire qu’il y a des objectifs communs entre lui et nous. Le débat n’a pas lieu d’être lorsque l’on considère sérieusement le fascisme comme un adversaire.

Et au final, l’enjeu d’hier et d’aujourd’hui de l’antifascisme a toujours plus été que d’autres personnes ne rejoignent pas ces mouvements, freiner leur développement, plutôt que tenter de récupérer les militants qui y sont déjà. On peut facilement avoir de la compassion pour les individus tombés là dedans (surtout s’il s’agit de gens que l’on connaissait d’avant, des copains d’enfance, des gens au parcours compliqué qui finissent là non pas par hasard, mais qui auraient fini autrement si les choses avaient été autres). Discuter individuellement (et hors d’un cadre de lutte) avec son voisin raciste, son cousin qui vire réac’, est une activité louable, mais on en revient au cas du rapport individuel. Et même dans ce cas là, il ne faut pas laisser s’installer la complaisance : « Tes idées je les combats avec acharnement chaque jour, je ne pense pas qu’elles vaillent la peine d’être défendues et débattues ni même écoutées parce que je les connais (trop) bien, cependant je sais que tu vaux mieux que ça et que tu peux changer sur des bases positives ». Convaincre contre le fascisme, ça se fait avec des tracts, des affiches, la diffusion de NOS idées, notre présence et nos actions sur le terrain, dans les luttes. Et dans ce cadre, on doit pouvoir s’adresser à tout le monde. C’est cela l’enjeu : différencier  « je m’adresse à tout le monde » et « moi je parle avec tout le monde ». 

-« Mais ils ont quelques bonnes idées, bonnes analyses… » (?!?) Théoriquement si l’idée est bonne elle pré-existe ailleurs. Rien de bon n’est jamais sorti de l’extrême-droite et les « bonnes idées » sont récupérées d’ailleurs. Idem chez les « trucs intéressant » des confusionnistes. Chouard et sa « démocratie par tirage au sort » n’a fait que dépoussiérer la démocratie athénienne, il n’a rien inventé de fondamental. Une certaine gauche qui s’enthousiasme à ce sujet (c’est là dessus qu’elle continue de l’inviter[x]), ne devrait pas avoir besoin de Chouard pour en discuter (à condition de savoir ouvrir un livre).

-« Et si nous avions tort sur tel ou tel point ? Nous ne détenons pas la vérité absolue, il faut accepter la contradiction ». Peut être mais dans ce cas il n’y a pas que les fascistes qui nous porteraient la contradiction. On peut très bien affronter nos contradictions, nous remettre en question en débattant avec ceux qui ne sont pas nos adversaires les plus acharnés, au sein de nos divers courants révolutionnaires et alternatifs, et même entre nous si on a de l’estime pour l’auto-critique. Et d’ailleurs, encore une fois, a-t-on besoin de discuter avec ses adversaires pour démonter leurs arguments, leurs discours ? On peut établir un parallèle avec le combat qui oppose rationalistes défendant l’évolution face aux créationnistes. Le professeur en biologie évolutive Guillaume Lecointre qui a beaucoup écrit sur ce sujet recommande de ne jamais accepter de débattre de biologie avec des créationnistes. Parce que ça serait déjà considérer qu’il y a quelque chose à débattre avec eux. Est-ce que la communauté scientifique a besoin des créationnistes pour questionner au quotidien les théories et connaissances en biologie évolutive ? Absolument pas. Les « critiques » créationnistes ont-elle permis ne serait-ce qu’une avancée en sciences du vivant ? Nada. On peut aussi établir un parallèle avec la lutte contre les sectes. Raël acceptera toujours de passer à la télé (quitte a créer des buzz absurdes), même pour s’y faire démolir, l’essentiel étant qu’on le voit et l’entende, et en ce sens, débattre, même brillamment contre lui, lui rendra toujours service. Affronter nos propres contradictions et mettre en avant celle des fascistes, nous pouvons parfaitement le faire sans leur présence, réelle ou virtuelle, dans nos espaces.

-« Et dans les médias, à la télé, il y a des débats contre l’extrême droite… ». Il faut un peu différencier le « débat » entre deux organisations (ou entre un invité et une organisation) et les joutes médiatiques (qui tiennent surtout du spectacle) et dont le but n’est absolument pas de créer des convergences ou du consensus mais au contraire de tenter de mettre l’adversaire à terre et marquer la ligne. Mais un média (public ou privé) est-il « neutre » ? Est-ce un lieu de confrontation ou de pacification ? Est-ce vraiment utile ? La question reste posée, même si il est clair que, entre débattre CONTRE le FN à la télévision ou la radio et débattre « à l’invitation » des identitaires, ou « dans un cadre fraternel » chez les soraliens, ça n’a rien à voir.

 

Si on choisit donc de refuser fondamentalement toute rencontre avec l’extrême droite, les partisans du « dialogue » vont employer une liste de termes qui restent à déconstruire (déconstruction développée en partie dans cet article du site Feu de Prairie) Vous devenez alors :

– « sectaires », « groupusculaires », « pas ouvert » : Non nous sommes juste fermés aux idées fascistes et celles de leurs amis.

 -« dogmatiques », « donneurs de leçons », « avant-garde éclairée » : ça n’est pas tant par pure idéologie que par des constats historiques et de terrain que nous choisissons cette position (qui ne devrait pas être uniquement celle de l’extrême-gauche). Il s’agit d’avoir un poil de vision politique et de cohérence. Nous ne donnons pas de leçons, nous nous contentons d’en tirer du passé et de notre vécu.

– « binaires », « staliniens », « adeptes de la pensée unique » : à partir du moment où l’on considère les fachos comme des ennemis et que « la barricade n’a que deux côtés », il n’y a pas de compromis à faire, pas de « juste milieu » à chercher.

On vous appellera par ailleurs à :

-« faire preuve de dialogue », « être constructif ». Il n’y a pourtant rien, encore une fois, à dialoguer ni à construire avec les fascistes.

– « respecter la démocratie et la diversité d’opinions   », « dépasser les clivages », « travailler sur ce qui nous rassemble ». Au contraire, l’enjeu est de marquer le plus possible toutes les différences entre eux et nous. Et les opinions fascistes ne méritent aucun respect.

Et on vous accusera de :

-« faire comme les fascistes », « faire le jeu du Front National/du système ». Au contraire, les fascistes veulent « discuter » avec nous (ou plutôt chez nous), ils veulent se servir de ces moments pour créer des écrans de fumée. Ils veulent faire tomber ces barrières. Certains médias capitalistes et responsables politiques participent à faire de même, en véhiculant et banalisant les idées de l’extrême droite tout en essayant de lui attribuer une couleur populaire. Ne pas « Faire le jeu de l’extrême-droite », c’est au contraire avoir une attitude carrée, et montrer que tout ce qu’ils essayent de détourner ou récupérer (de la lutte contre le capitalisme et l’impérialisme à la dénonciation du pouvoir en place) n’est qu’une grosse manipulation. Et donc, une dernière fois, qu’il n’y a rien à débattre avec eux.

martine Chouard

Les groupes d’extrêmes droites et les gens fumeux qui leur tournent autours et leur font quelques bisous, nous n’avons rien à faire avec eux, rien à en espérer, tout à y combattre. Si nous pouvons sans cesse questionner notre façon de militer, nos idées, nos connaissances et nos pratiques, nous devons en revanche être confiants sur notre démarche, nos projets et notre marqueur politique. Si certains pensent qu’un compromis ou ne serait-ce qu’un contact est nécessaire avec nos pires adversaires pour avancer dans nos luttes, c’est peut être qu’ils n’ont pas bien compris ce qu’étaient ces luttes et les principes qu’elles impliquent.

 L.T


[i] Les “Indignés” parisiens encore et toujours infiltrés par des fafs

[ii] Article d’Alternative Libertaire-Montpellier : Les indignés parisiens infiltrés par les fascistes, interrogation sur la position des Indignés Montpellierains de s’ouvrir à l’extreme droite.

[iii] Communiqué d’ATTAC Besançon : « qu’Etienne Chouard défendrait des idées d’extrême droite. Nous n’avons rien lu actuellement qui permettraient d’affirmer de telles allégations, mais nous ne pouvons non plus affirmer avec certitude le contraire. […]De ce point de vue, faire preuve de dialogue avec tous, peut être considéré comme la preuve d’un grand idéalisme démocratique, s’appuyant sur les principes de liberté d’expression et le discernement. […] c’est être très audacieux et idéaliste, ou alors très naïf, de penser que d’oser débattre avec n’importe qui, n’aura pas de conséquence sur la réception des ses messages et de ses idées […] Il existe aussi des personnes politiquement à gauche qui sont antisémites, mais qui ne sont pas non plus fascistes. […] » Bref un peu tout et son contraire…

[iv] Cf le Communiqué d’ATTAC Besançon cité précédemment ou encore les réactions au communiqué du cinéma UTOPIA-Front de Gauche.

[v] « J’ai bien vérifié : je n’ai pas trouvé une seule pensée antisémite dans cette vidéo» déclare-t-il à propos d’une vidéo complètement délirante (voir l’article sur site Reflets).

[vi] Nigel Farage (toujours l’article sur site Reflets).

[vii] Dans le fil de commentaire de son site, article du 28 décembre 2012.

[viii] Tous deux ex-candidat Front de Gauche aux législatives de 2012 : P. Marx a été écarté suite à sa mise en cause (voir le site « Opération Poulpe ») alors que R.Balme a été maintenu, sommé de fermé son site, suite à la polémique ayant pris de l’ampleur via Rue89. Il a ensuite quitté le PG et rouvert son site peu de temps après.

[ix] Meyssan auteur d’articles publiés entre 2005 et 2011 ; articles du « Parti-Antisioniste » des amis de Dieudonné, publiés en février 2009 et mars 2010.

[x] Festival « Les utopies en marche » à Die (article indy à ce sujet) ou encore l’université d’automne 2012 du « M’pep » (association de J. Nikonoff et B. Cassen, anciens dirigeants d’ATTAC-France) où étaient également présent « Le Grand Soir », l’UPR (parti souverainiste et conspirationniste d’Asselineau).

 

En finir avec « le Point Godwin »

Le Point Godwin : Cette appellation désigne normalement quelque chose de spécifique, à savoir l’évocation du nazisme comme argument d’autorité pour couper court à un débat sur internet qui n’a rien à voir avec le nazisme.

“Loi” :

“Plus une discussion sur internet dure longtemps, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1

[Observation  : c’est nul comme énoncé, la probabilité, si elle est au début de zéro, par définition, ne peut qu’augmenter (en tout cas pas diminuer)]

Exemples :
*-J’aime pas l’art contemporain, on n’y comprend rien, c’est de la fumisterie. [Débat interminable…]
-Les nazis non plus, n’aimaient pas l’art contemporain. ->Point Godwin

*-Je suis végétarien, je n’aime pas qu’on tue les bêtes. [Débat interminable…]
-Hitler aussi, et il disait pareil. ->Point Godwin

*-Il serait peut être utile de recourir à un peu de dévaluation de la monnaie  en cette période délicate                                                   -Comme les nazis dans les années 30 ? ->Point Godwin

En revanche, une discussion portant justement sur l’extrême droite moderne, sa stratégie, ses actions, on peut s’autoriser les comparaisons : comparer la violence de tel groupe avec les intimidations nazies, dénoncer un discours “rebelle et anti-banque” en évoquant les S.A. qui jouaient les “anticapitalistes” au sein du parti nazi… Confronter les méthodes, les bases idéologiques, les modes de fonctionnement des fascistes d’aujourd’hui avec ceux des fascistes d’hier est parfaitement légitime et important.

Si on ne peut plus questionner l’extrême droite d’aujourd’hui au regard de celle d’hier sous prétexte du fameux point Godwin, on est foutu. Plus de travail d’analyse sérieux possible.

Donc revendiquons le droit de comparer ce que l’on veut lorsque le débat porte sur l’extrême droite. Ne nous laissons pas impressionner par ce fameux “point Godwin” détourné de son sens original par les « trolls » fachos et réacs.

Point Godwin

Sur « la liberté d’expression »

(archive, publié sur le prédent blog le 2 février 2013)

La défense de la « liberté d’expression » est une question qui traverse aujourd’hui les mouvements sociaux, les organisations politiques, les collectifs militants divers et variés. En effet, elle se retrouve au cœur d’affrontements à propos de l’attitude à adopter face à certains adversaires. Plus précisément, autours de cette question s’opposeront certain-es souhaitant ouvrir leurs espaces (toujours au nom de la « diversité d’opinions », du « pluralisme », de la « liberté d’expression ») à des courants que l’on qualifiera de conspirationnistes, confusionnistes, où même parfois tout simplement fascistes, et d’autre part des militants qui, dans un objectif antifasciste, souhaitent au contraire maintenir toute cette sphère à distance de leur propre réseaux et du mouvement social en général. Et surtout, ils s’opposent à l’idée « voltairienne » (remise au gout du jour par des théoriciens comme Noam Chomsky), qu’il faudrait se battre « pour la liberté d’expression de ses pires ennemis ».

Ainsi, nos « voltairiens » iront combattre la Loi Gayssot à travers une pétition où se mêleront les signatures de penseurs classés « à gauche » (Chomsky entre autre, mais aussi Norman Baillargeon) et une quantité de figures d’extrême droite, négationnistes, condamnés pour antisémitisme et des polémistes comme Robert Ménard, qui est passé de la défense de journalistes à la défense de racistes (ses derniers faits d’armes : un essai intitulé Vive Le Pen ! et une probable participation à une WebTV identitaire et Pro-Poutine, toujours au nom de la « liberté d’expression »).

Que la loi Gayssot ne soit pas une bonne loi (notamment question efficacité), comme toute loi que l’on peut attendre d’une démocratie parlementaire capitaliste (donc de la bourgeoisie), est une chose (même Badinter se serait prononcé contre). Mais (1) Faut-il la critiquer voire la combattre en priorité ? (2) Faut-il le faire aux côtés de celles et ceux qui souhaitent la voir tomber pour déverser leur racisme et leur négationnisme ?

Chomsky dit en substance[i]  « la liberté d’expression des siens, de ses amis, c’est facile à défendre, on ne devient un vrai défenseur de la liberté d’expression que quand on défend ses pires ennemis ».

C’est là le gros piège. Nous n’avons pas décidé de la structure actuelle de la société, ses lois et ses rapports de forces. Nous ne sommes pas responsables et n’avons aucun devoir « moral » de défendre nos pires ennemis. Cette vision plaçant la liberté d’expression au-delà du contexte, des rapports de forces, de classes est naïve. Nous-mêmes, militant.es révolutionnaires, anti-capitalistes, anti-autoritaires, n’avons que peu voire pas accès à certains canaux de communication, espaces d’expression (par exemple les médias de masse ou encore la diffusion restreinte de nos publications, livres, films au sein du système capitaliste). Pour certain.es, encore moins organisé.es (des ouvriers non syndiqués luttant contre la fermeture de leur PME dans une petite ville), encore plus isolé.es (des femme de ménages employées à domicile), encore plus marginalisé.es (un camp de Rroms menacé de démantèlement), la possibilité de s’exprimer est d’autant plus restreinte, une censure s’exerce de fait par le biais de l’absence de médias, le désintérêt des acteurs politiques et les limites de moyens (économiques, culturels, linguistiques). Qui se soucie de « cette » liberté d’expression ? Personne ou presque. Où sont donc les « Voltairiens », prêts à ouvrir leurs colonnes, à diffuser « un autre point de vue », à faire vivre le « pluralisme » ? Ils se battent pour faire abolir la loi Gayssot. Ou encore pour que Dieudonné, Chouard, Asselineau et autres Collon, puissent déblatérer leurs discours puants aux quatre coins du pays, qu’ils puissent accéder aux espaces populaires, parfois militants.

La « Liberté d’expression » en tant que telle est un principe théorique qu’il convient d’ancrer dans une réalité concrète. L’extrême-droite est puissante culturellement et économiquement, il est difficile de lui porter des coups. Elle a recours à diverses stratégies, pirouettes lexicales et autres manipulations pour faire passer son discours. Elle trouve des alliés de circonstance chez des paumés abreuvés de conspirationnisme et autres idées fumeuses, qui la font rentrer dans nos espaces par « l’escalier de service ». C’est ainsi que les textes d’un Alain Soral ou d’un Thierry Meyssan se retrouvent sur des sites animés et fréquentés par des militants se positionnant (selon eux) à gauche[ii]. De même, les mouvements se voulant « largement ouverts et collectifs », comme « les Indignés », ou encore le mouvement « Les colibris » lancé par Pierre Rabhi, se font infiltrer par des individus fréquentant assidument les milieux fascistes, quand ça n’est pas par des fascistes eux-mêmes. Voilà le principe du confusionnisme. Et pourtant, cette extrême droite n’a rien à faire de la « liberté d’expression » elle se contente de se battre pour « sa liberté d’exprimer son racisme et son négationnisme ». D’ailleurs, certains n’hésitent pas à essayer de faire censurer celles et ceux qui les dénoncent. Du coup si jamais elle est censurée ou condamnée, pourquoi faudrait-il lui filer un coup de main ?

Il ne s’agit même pas de réclamer leur censure, simplement s’ils se font censurer, on ne va pas se battre pour eux non plus. Tout comme on n’a pas à se battre pour la liberté d’expression de Laurence Parisot si l’Humanité refusait de lui ouvrir ses colonnes pour une tribune où elle fustigerait le « coût du travail ».

Pour revenir à la pétition contre la loi Gayssot, à supposer qu’il faille la combattre (« au nom de la liberté d’expression pure »), pourquoi le faire aux côtés de l’extrême droite ? Prenons la TVA. La TVA est un impôt injuste qui frappe autant le prolétaire que le millionnaire, et donc proportionnellement fait plus payer le pauvre que le riche. Cependant, certaines industries (Hôtellerie-restauration, Bâtiment) ont intérêt à ce qu’elle baisse. As-t-on pour autant déjà eu des propositions, des appels à manifester ensemble, anticapitalistes et petits patrons contre les hausses de TVA ? Non, car c’est absurde, si une idée semble être partagée (« il ne faut pas une TVA haute »), les objectifs sont in fine radicalement différents. Alors pourquoi serait-ce différent quand il s’agit de la « liberté d’expression » ?

Cette attitude de rapprochement « ponctuel » (enfin pas si ponctuel que ça pour certains…) au nom d’une idée qui devrait transcender les différences politiques (comme cette liberté d’expression abstraite), participe à l’établissement de connexions, des rencontres entre personnes venues de la gauche et l’extrême droite. Ce rapprochement est souhaité et encouragé par nos adversaires. Tout le bénéfice est pour eux : ils gagnent en audience, en crédibilité voire en respectabilité. Ils gomment leurs différences avec « nous ».

liberté d expression

Faire de la « La Liberté d’expression » un principe essentialiste à défendre partout et pour tout le monde n’a pas de sens. D’autant plus quand les « victimes » sont de farouches adversaires et ont largement de quoi se défendre (en terme de réseaux, de relais, de moyens financiers). Qui irait défendre l’Église Scientologique au nom de la liberté de culte ? Qui irait défendre l’accès de Jean-François Copé à la Bourse du Travail de Paris pour un meeting ? Alors pourquoi il en serait autrement pour les Meyssan, Bricmont, Collon et autres Chouard ? A partir du moment où ils fricotent avec les fascistes, ce sont des ennemis ou pas ?

Qui voit sa liberté d’expression bafouée ?

La mouvance, conspirationniste et leurs relais confusionnistes sont toujours les premiers à clamer qu’ils seraient victimes d’une « censure » (médiatique, politique, quand ça n’est pas « le Système »). Dénoncées aussi, « la bien-pensance », « la pensée unique », la « police de la pensée » : en utilisant ces termes, elle adopte une posture victimaire et laisserait penser à une véritable répression. Pourtant, ses textes, ses vidéos, fleurissent sur Internet. Pourtant, ses acteurs donnent des conférences à travers la France et ailleurs (encore trop souvent invités par des organisations de gauche, hélas, même si une timide prise de conscience sur cette question débute). Lorsque Collon se voit annulé à la bourse du Travail, qui rappelons le n’a pas vocation à accueillir tout le monde et n’importe qui, sa « liberté d’expression » est-elle bafouée ? Non, il continue à s’exprimer tranquillement (il en fait même une vidéo et utilise cet évènement pour se victimiser). Il est toujours en liberté, poursuit ses activités, diffuse tous les textes qu’il veut sur son site, collecte de l’argent pour son travail « d’investigation ». La Police n’est pas venue frapper à sa porte, ses ordinateurs n’ont pas été saisis. Contrairement à d’autres médias alternatifs, Bouygues ne l’a pas attaqué en justice.

D’un autre côté, on a des militants et des structures qui sont réellement menacées de répression : Lorsque Jean-Marc Rouillan a eu l’audace de donner une interview à l’Express où il déclare « le fait que je ne m’exprime pas est une réponse», ça l’a renvoyé en taule pour plusieurs années. Les sites Indymédia, Jura libertaire et Non-Fides se voient menacés, subissent harcèlement, perquisitions et convocations par la Police Nationale. Mais où sont les « voltairiens » ? Ah oui non c’est vrai, pour eux, ces sites sont au service « du Système » et de la « pensée unique », c’est pour ça que le « Système » convoque leurs administrateurs et saisit leur matériel. Une logique à toute épreuve, ce « Système » ! Pensons aussi aux embastillés de Tarnac, dont l’une des principales accusations étaient d’être soupçonnés d’avoir écrit un livre… Là encore point de signature du grand Chomsky sur la pétition de soutien.

Si leurs idées prospèrent, c’est la faute à Voltaire ?

On le voit avec ces exemples, le recours à « la liberté d’expression » comme principe à défendre sans conditions et sans contexte, c’est à la fois une arnaque et un concept dangereux conduisant au grand n’importe quoi. Comme toute idée abstraite, « la liberté d’expression » peut être manipulée de diverses manières et prendre plusieurs sens, au même titre que « la Laïcité », « la République », « le Peuple » ou encore le fameux « Système »… Éviter de tomber dans les pièges du chantage qui nous obligerait à défendre quiconque se voyant « victime » est essentiel pour ne pas oublier qui sont nos adversaires.

Qu’on se le dise : depuis 60 ans, les divers courants d’extrême droite hurlent à la censure, se posent en martyrs de la liberté d’expression. Pourtant leurs idées, leurs discours, leurs termes sont plus diffusés que jamais. De l’autre côté, les anti-racistes, les féministes, les militants anti-autoritaires, les mouvements sociaux (soutien aux sans-papiers, syndicalisme…) tout ce qui constitue à leurs yeux « les bien-pensants, les chiens de garde du système », perdent chaque jour du terrain : méprisés par une partie de la classe politique (les « décomplexés » qui les traitent de « bobos »), oubliés des médias, réprimés par l’Etat pour les plus radicaux (libertaires et mal-nommés « anarcho-autonomes »), sommés d’accepter la libération de la parole raciste, sexiste et homophobe au nom de la lutte contre le « politiquement correct ».

Voilà où nous en sommes. Dieudonné se voit offrir un reportage assez complaisant sur une chaîne publique[iii], Soral  (comme Collon et Bricmont) passe sur France 3[iv], RMC, RTL… pendant que Rouillan est renvoyé en taule et que certaines luttes sont absentes de l’espace médiatique. Beaucoup d’espaces de « libre expression » pour les soi-disant « victimes », rien pour les autres.

Qu’on y réfléchisse à deux fois quand on sera sommé de se prononcer en soutien à la liberté d’expression de tel ou tel « libre-penseur ».

L.T


[i] Entretien dans le film « Chomsky et Compagnie », film d’ d’Olivier Azam et Daniel Mermet, 2008.

[ii] Philippe Marx ex-candidat Front de Gauche aux législatives en Lorraine. Ou encore Meyssan publié sur le site « Le Grand Soir » qui se revendique toujours de gauche antilibérale.

[iii] « Égaux mais pas trop» émission de Rokhaya Diallo sur LCP « Les couleurs du rire ».

[iv] « Ce soir ou jamais » émission de Frédéric Taddeï a accueilli chacun d’entre eux ainsi que Dieudonné.